Les globe-reporters du collège de Martonne s’intéressent aux tortues de la plage de El Mansoura au Sud du Liban. C’est Mona KHALIL, qui est leur célèbre ange-gardienne. En raison de la situation sanitaire, Sidonie HADOUX ne peut pas se rendre jusqu’à la fameuse plage de sable blanc où les tortues viennent pondre chaque année. Et Mona n’est pas familière des visioconférences…
Environnement et transition énergétique
Quand Sidonie appelle Mona KHALIL la première fois, cette dernière est assise dans son jardin à Tyr, et s’occupe de ses petits-enfants. Ce n’est pas le moment opportun pour une interview. Sidonie lui fait part de ses requêtes et Mona accepte.
« Je suis âgée maintenant, je préfère que cela se fasse par téléphone car j’évite de voir des gens pour ne pas attraper le corona virus », précise la militante.
Mais quand Sidonie lui demande d’organiser une visioconférence, Mona est réticente :
« Je ne suis pas très familière de ces nouveaux outils, et ma connexion internet est très mauvaise, peut-on faire ça par téléphone ? ».
Le rendez-vous est fixé au lendemain, par téléphone. Sidonie enregistre la conversation avec le haut-parleur mais la qualité du son n’est pas suffisante pour être diffusable à la radio. Cet enregistrement sert néanmoins de base à Manon AUBEL, notre secrétaire de rédaction, pour vous retranscrire l’interview à l’écrit, de l’anglais au français.
Mona est passionnée. Sidonie parle longuement avec elle au téléphone. Sa voix semble un peu fatiguée, mais sa résilience reste intacte. Mona s’est battue une bonne partie de sa vie pour préserver cette bande de sable où les tortues viennent pondre depuis des millénaires. Et ce combat n’a pas été de tout repos, dans un pays où la corruption, et le marché de l’immobilier ne cessent de grapiller des terrains pour y construire des complexes hôteliers notamment. Mais Mona reste mobilisée. Bravo !
Questions à Mona KHALIL
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis une militante environnementale, et avant tout un être humain. Je crois en l’égalité et la justice entre les humains, les animaux et la nature. Mon objectif dans la vie a été de faire mon mieux pour protéger tout ce qui se trouve autour de moi, du mieux que possible.
Êtes-vous scientifique ?
Je ne suis pas scientifique, car je n’ai pas de formation dans ce domaine. Mais ce que je fais ici depuis 20 ans est assez scientifique : nous observons les tortues et nous récupérons des données de ces observations… Tous les deux ans, on m’invite à des conférences nationales pour présenter ces données auprès de scientifiques qui les analysent.
Pouvez-vous nous donner un exemple de mission ?
La saison commence le 1er mai, les tortues viennent faire leur nid. La plupart du temps ces dernières années, elles n’arrivent qu’en juin. La saison de la nidation se déroule entre mai et juillet. Avec les bénévoles, nous partons protéger les nids. Nous enregistrons la localisation des nids, le nombre d’oeufs et nous prenons des mesures discrètes des emplacements une fois recouverts.
Observez-vous des changements dans le comportement des tortues ?
En général, les tortues lorsqu’elle arrivent sur la plage, creusent un trou pour y pondre leur oeufs. Ensuite, elles camouflent cet emplacement. Je pars les observer très tôt le matin avant qu’il y ait du monde. Cette année pour la première fois, deux tortues sont venues pondre sans camoufler le lieu de leur ponte. Ce comportement m’a vraiment surprise. Mais je ne sais pas trop ce qu’il traduit.
Êtes vous la seule à faire ce travail au Liban ?
Oui, je suis largement seule à m’occuper de cette plage. J’habitais en Hollande pendant des années et je suis rentrée il y a 20 ans pour m’occuper de ce site.
Pourtant ce lieu est reconnu sur la scène internationale comme un lieu de nidation des tortues. J’ai deux bénévoles. Il y a des enfants qui viennent donner un coup de main quand ils et elles le peuvent… Les gens du village devraient s’impliquer davantage. Je ne suis pas la propriétaire de cette plage. Tout le monde devrait s’impliquer dans la sauvegarde de ce bien commun, pour les générations à venir.
Comment avez-vous eu envie de vous investir auprès des tortues de mer ?
Les tortues de mer sont une espèce menacée. Ce n’est pas tellement une passion particulière pour les tortues qui m’a donné envie de m’y intéresser, c’est un amour pour le vivant en général. Pourquoi occuper une plage, construire des stations balnéaires… sans aucun intérêt pour cet environnement naturel exceptionnel et pour ces tortues ? Oh, je ne m’inquiète pas pour elles… Savez-vous qu’elles arrivent déjà de l’époque des dinosaures ? Elle trouveront d’autres endroits ! Mais je ne comprends pas pourquoi on ne protège pas mieux une ressource précieuse qui nous apporte ses propres ressources, par exemple pour développer des formes d’écotourisme. Quand les tortues descendent de la mer, des centaines de personnes viennent de partout à travers le Liban pour observer ce phénomène fabuleux.
Et quel est le problème sur cette plage ?
Après la libération du Sud du pays, il y a 20 ans, les pouvoirs locaux ont rendu ce lieu de plus en plus touristique et l’ont aménagé. Il y a dans ce pays des gens qui se pensent au-dessus de la loi, et donc cela fait 20 ans que je me bats contre des personnes corrompues qui mettent en danger cette réserve naturelle. Ils voulaient transformer cette plage en station balnéaire. Des projecteurs ont été installés, et ils faisaient peur aux tortues, elles ont déménagé.
Les personnes dans le village, les pêcheurs sont-ils impliqués ?
Ils ne m’aiment pas vraiment. J’ai demandé aux pêcheurs d’arrêter d’utiliser leurs produits chimiques, et la dynamite qu’ils utilisent pour pêcher. C’est un écosystème : la pêche à la dynamite est extrêmement destructrice, elle est d’ailleurs punie par la loi, de trois ans d’emprisonnement mais personne n’applique ces lois. Le plastique pollue les océans. Quand je vais à la plage, je croise certains pêcheurs et je leur dis « S’il-vous-plait aidez-moi, ramassez ces restes… » Ils se moquent de moi et n’écoutent rien au final. Non, ils ne m’aiment pas. Peut-être qu’ils commencerons à apprécier mes actions en ouvrant leurs esprits… et en ne restant pas sur l’aspect superficiel de la vie.
Subissez-vous des pressions ?
Ils ont des projets de développement. C’est un vrai bras de fer car des gens aussi me soutiennent. Pour l’instant, le projet de station balnéaire est à l’arrêt heureusement. Ils ont perdu beaucoup d’argent par ma faute. Après 7 années de bataille, ce projet est tombé à l’eau, faute d’argent, et pour l’instant c’est la crise économique, personne n’a les moyens de partir en vacances. Ils n’ont pas non plus les moyens d’entretenir un futur site.
Recevez-vous des aides du gouvernement ?
Quand je suis rentrée d’une de mes dernière de conférence, j’ai partagé gratuitement mes données avec le ministère de l’Environnement. Je ne reçois aucun soutien du ministère. L’année dernière, ils ont essayé de m’aider… mais le pouvoir politique n’est pas suffisamment fort par rapport aux personnalités politiques influentes ici. Il y a des mafias locales contre lesquelles même les ministères les mieux intentionnés ne peuvent rien faire.
Comment voyez-vous l’avenir ?
Et bien il y a d’abord cette histoire de Corona qui n’arrange rien. L’avenir semble un peu sombre actuellement. Mais je ne renonce pas et j’espère que les choses vont changer pour le mieux.
Avez-vous un message pour les globe-reporters qui ont préparé les questions ?
Prenez soin de vous et de votre pays. Prenez soin de la nature qui est notre maison à tous et tentez d’être heureux ! Avant le Corona, il y avait une vraie émulation auprès de notre projet… mais maintenant c’est à l’arrêt. On ne sait pas trop comment les choses vont évoluer. La seule chose enthousiasmante, c’est qu’avec le confinement, la nature reprend un peu ses droits. On la laisse tranquille un peu plus que d’habitude.
Article publié le 10 février 2021
Sources photographiques
Afin que les œufs éclosent à l’abris, au sein de la Orange House ©The Orange House Project
Avec ses complices de la Orange House, Mona veille à préserver la plage et à faciliter le travail des bébés tortues jusque-là mer ©The Orange House Project
Depuis les années 2000, elle collecte des données sur les tortues qui viennent pondre sur la plage ©The Orange House Project
En raison d’une augmentation du nombre de prédateurs, et notamment des renards, les bénévoles de la réserve ramassent les œufs quand ils sont prêts à éclore ©The Orange House Project
Les tortues se ruent vers la mer… ©The Orange House Project
Mais avant cela, une course folle les attend sur la plage de El Mansoura pour gagner le rivage ©The Orange House Project
Mona Khalil est revenue s’installée en 2000 au sud Liban, là où elle a passé son enfance et a transformé la maison héritée de son père en maison d’hôte ©The Orange House Project
Puis, une fois les bébés tortus sortis de leur coquille, les bénévoles regardent si le point d’attache de leur cordon ombilical est refermé ©The Orange House Project
Si oui, c’est que les bébés sont prêts à être relâchés et entamés leur grand voyage dans l’océan ©The Orange House Project
Située entre l’antique citée de Tyr et Naqoura, la plage d’El Mansoura est depuis millénaire un lieu de ponte des tortues maritimes au Liban ©The Orange House Project
Sous le regard médusé des visiteurs ©The Orange House Project