En Roumanie, Andra, Ștefania, Raluca, Alexia, Daria et Roxana s’intéressent aux phénomènes étranges de la forêt de Hoia. Alexandru SURDUCAN organise dans cette forêt depuis dix ans des excursions nocturnes. Il répond à leurs questions.
Sciences, cultures et patrimoine
Andra, Ștefania, Raluca, Alexia, Daria et Roxana de la rédaction de Unirea de Braşov, sont bien placées pour savoir que la Roumanie est un pays enveloppé d’un voile de mystère, elles qui vivent à quelques kilomètres seulement du château de Bran. Le « pays de Dracula » serait sauvage, ses habitants bercés de légendes populaires toutes plus mystérieuses les unes que les autres, lesquelles, bien entendu, vous fichent la frousse.
Ces histoires, elles les ont forcément entendues à un moment ou un autre, de la bouche d’une grand-mère, ou lues dans un livre de contes ; sans doute même qu’elles les amusent un peu, même si elles les intriguent aussi certainement beaucoup, les amenant au passage à s’interroger sur leur pays et sur leur identité.
Ces dernières années, l’une de ces histoires a attiré leur attention : celle de la forêt Hoia-Baciu, un lieu qui bien qu’éloigné de plusieurs centaines de km de chez elles, fait partie de la même grande région : la Transylvanie. Nimbée de mystère depuis bien des décennies, cette forêt s’est retrouvée sous les projecteurs ces dernières années alors que des médias internationaux - reprenant des légendes populaires bien transylvaines - en faisaient carrément l’une des forêts les plus hantées au monde ! Le paranormal y régnerait en maître, des phénomènes inexplicables y auraient été constatés à moult reprises, terrorisant au passage les locaux et faisant de cette forêt un lieu étrange, mystérieux, et bien sûr infréquentable...
Pour cette interview, nous sommes partis à la rencontre d’une personne qui a malgré tout choisi de fréquenter la forêt Hoia-Baciu pour son travail. Alexandru SURDUCAN y organise depuis dix ans des excursions afin d’en faire connaître les histoires étranges ainsi que l’aura si particulière. Et en bon transylvain, ces virées, il les organise bien entendu la nuit.
Bien que relativement jeune (il a 38 ans), Alexandru SURDUCAN fréquente la forêt de Hoia-Baciu depuis près de 20 ans. Attiré au départ par le voile de mystère entourant celle-ci, il s’est entiché des lieux, y découvrant encore et toujours de nouvelles richesses. Il faut aussi dire qu’à la base Alexandru aime la nature, les vastes forêts et ces ballades où l’esprit vagabonde, les sens aux aguets.
Alexandru donne rendez-vous à notre correspondant en Roumanie, le journaliste Benjamin RIBOUT, en bordure d’une autre forêt bien connue à Cluj : Făget. C’est là qu’il vit, dans l’un de ces nombreux nouveaux quartiers qui ont poussé comme des champignons en bordure de la plus grande ville de Transylvanie.
Cluj dépasse les 300 000 habitants et attire toujours plus de monde, des jeunes notamment ; c’est normal, particulièrement dynamique, c’est la deuxième ville du pays. Ici la société civile et les habitants ont bien du mal pour freiner la frénésie immobilière dont s’est emparée la cité.
De chez Alexandru jusqu’à la forêt de Hoia-Baciu, le trajet en voiture nous fait transiter par de nouveaux territoires urbains particulièrement denses en voitures et en nouveaux quartiers, largement identiques. On entend même souvent que certains poussent sans autorisations et que les infrastructures y sont largement défaillantes, conférant à l’ensemble un air chaotique bien loin de l’image de ville transylvaine calme et entourée de forêts sauvages.
On gare notre voiture sur une petite route à mi-chemin entre la large vallée et la lisière de Hoia-Baciu. Quasiment partout en contrebas notre regard aperçoit des traces d’ensembles urbains. Cluj est prolongé sans interruption par Floreşti, la plus grosse commune de Transylvanie. On dit que là-bas, il y a quelques années, les quartiers ont poussé sans tout à l’égout et que les maisons étaient si proches que le camion-poubelle n’avait pas accès partout.
Dans cet espace vide de 500 mètres entre la petite route et la forêt, Alexandru nous montre un peu plus loin un énorme trou, un chantier à l’arrêt. Il respire : un projet de huit immeubles y a été stoppé net car illégal, ouf ! Même si d’autres devraient encore grignoter de l’espace vide à l’avenir. Que restera-t-il dans dix ans de ces 500 mètres de champs qui, tel un cordon, délimitent encore la civilisation de la forêt ? Alexandru a confiance pour « sa » forêt, il veut croire que la normalité va l’emporter : « la corruption existe encore, mais elle est incontestablement en baisse dans le pays ».
Cette frénésie urbaine qui grignote l’espace et menace la forêt est un peu à l’image de sa popularité, elle qui attire toujours de gens, notamment de Cluj. Alexandru a créé Hoia-Baciu project avec son compère Marius. Alex n’est pas attiré par le chamanisme, la magie ou même la méditation. Il en croise pas mal des gens comme ça ici, « forcément » dit-il.
Ses excursions il en a plusieurs par mois, c’est comme un job à mi-temps qui marche particulièrement en octobre lorsque Halloween se rapproche. Un brin superstitieux, Alex raconte que par deux fois lui et Marius ont essayé d’organiser une sortie nocturne pour la nuit Halloween et qu’à chaque fois ça a capoté, du coup il a bien fallu se rendre à l’évidence et faire un pas de côté : faire ça à cette date-là n’est sans doute pas une bonne idée, la forêt n’a pas l’air d’en vouloir alors pourquoi s’entêter.
Hoia-Baciu couvre près de 300 hectares. Il n’y a pas d’entrées officielles, « tu y accèdes un peu comme tu veux », glisse Alex en nous guidant vers le cœur névralgique de la forêt : Poiana rotunda ou la « clairière arrondie ». Une musique assez forte nous accueille dans l’espace dégagé. Un Allemand d’une trentaine d’années est assis sur un gros tronc d’arbre et prend du bon temps en écoutant du rock. Alex le connaît : la première fois, Simon est venu ici participer à l’un de ses tours. « Que faire d’autre que se faire un peu peur quand tu viens en Transylvanie ?! », s’amuse Simon, qui confie aussi qu’il était déprimé à l’époque et que la forêt l’a fait se sentir bien mieux, « comme ça, juste en marchant au milieu des arbres ». Il y revient constamment depuis - bien que vivant toujours en Allemagne. « Je suis venu des trentaines de fois, j’y danse, je rencontre des gens et tout ça m’aide à aller mieux », explique simplement l’Allemand.
Alex n’est pas surpris, il sait que la forêt fait beaucoup de bien à pas mal de gens. D’autres, avec un karma bien moins bon, fréquentent aussi les lieux. Des gens qui viennent pratiquer des rituels par exemple. Il en croise souvent, car, encore une fois « il y a de tout dans cet écrin de verdure » affirme-t-il. Autour de nous on aperçoit des arbres peints en blanc, des rubans, des cercles au sol ou encore des attrape-rêves. Sans oublier ce qui « déborde » de la société et que l’on retrouve ici, inéluctablement : des déchets laissés dans un coin par des gens peu scrupuleux, des arbres coupés en douce pour se chauffer. Pendant notre brève excursion en cette fin de journée de début de printemps encore frileux, on croise aussi des joggers et même de bruyants quads sur les sentiers.
Hoia-Baciu est bourrée d’arbres très différents, Alex parle d’une vingtaine d’espèces, des feuillus notamment, avec même un chêne méditerranéen, qui se retrouve seulement ici en Roumanie. A-t-on plus peur ici que dans d’autres forêts ? « Plus tu lis de choses sur internet et plus tu as peur, c’est logique », sourit Alex qui explique que la nuit tout cela est décuplé car les sens sont plus aux aguets, entre les bruits des animaux et l’obscurité. Alex n’a jamais croisé de sangliers et de loups ici, mais les bergers du coin lui on dit qu’ils se cachaient bien.
D’après notre guide d’un jour, il se passe toujours quelque chose d’intéressant dans cette forêt. Pour ces excursions - qui coûtent tout de même 100 euros environ - il faut juste s’inscrire et vous êtes pris en charge intégralement, on vient vous chercher et on vous ramène.
L’homme tient à avoir un discours équilibré, pas trop impacté par ce qu’il a lu sur la forêt. Avant de le dégotter, notre journaliste avait contacté plusieurs institutions pour poser une question simple : qui travaille aujourd’hui sur les phénomènes observés dans la forêt ? Un écologue ne lui a jamais répondu malgré ses demandes répétées, quant à l’un des scientifiques les plus connus - aujourd’hui à la retraite - ayant travaillé sur la forêt et dont Alex nous parle dans l’interview -Adrian PATRUT, il n’a jamais répondu lui non plus.
Alexandru, lui, veut demeurer neutre, en évitant de verser dans le paranormal et l’occulte pour s’adresser à toutes sortes de gens : « ce sont eux qui choisissent leur voie en croyant ce qu’ils veulent », nous livre-t-il dans un sourire devant un parterre qui se garnit des premières fleurs printanières. On l’écoute nous raconter Hoia-Baciu.
Reportage réalisé le 9 mars 2024
Entretien réalisé en roumain. La traduction en français est à télécharger via le Kit pédagogique en pied de page.
Depuis quand connaissez-vous les lieux, sur quoi y avez-vous travaillé et pour quelles raisons ?
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les radiations dans la forêt et sur la façon dont elles affectent la faune ?
Quels y sont les cas les plus courants de phénomènes paranormaux ?
D’où vient ce surnom de « Triangle des Bermudes de la Roumanie » ?
Existent-ils des travaux récents qui clarifient ou seraient sur le point de clarifier les événements paranormaux dans la forêt ? Plus largement, la forêt est elle un enjeu de recherches scientifiques particulières ?
Quelles relations entretiennent les habitants des environs avec la forêt ? En ont-ils peur, sont-ils indifférents, voire même fascinés par les lieux ?
Que faut-il savoir avant de venir explorer la forêt ?
Avez-vous vous-même été confronté à des expériences paranormales dans cette forêt ?
Celle-ci est-elle un cas unique en Roumanie ou bien les forêts ont été régulièrement porteuses de croyances populaires au point d’effrayer voire fasciner les Roumains ?
De quelle manière est évoquée la forêt aujourd’hui ?
Est-ce un lieu protégé d’une certaine façon et est-il à craindre qu’elle ait à souffrir de sa « réputation » ?
Question bonus : Avez-vous un message pour la rédaction d’Unirea ?
Question bonus : Vers quoi voulez-vous que la forêt évolue d’ici à dix ans ?