Recycle Beirut : une réponse à la crise des déchets
Publié le 13 janvier 2021
Les globe-reporters du lycée professionnel Paul Emile Victor, Jules et Léni, s’intéressent au recyclage des déchets au Liban à travers l’exemple de l’entreprise sociale Recycle Beirut. Fadimata, Lila, Marwan, Mathis, Matthéo, Teddy, Ysatiss, globe-reporters de l’école des quatre saisons à Mont Saint-Jean travaillent également sur la gestion des déchets, tout comme les élèves de 4ème B du collège Saint-Martin à Nantes. Notre envoyée spéciale Sidonie HADOUX pose leurs questions à Rabih ZEYNEDDINE, fondateur et directeur de Recycle Beirut.
Environnement et transition énergétique
En 2015, « la crise des poubelles » au Liban a souligné l’échec du gouvernement à nettoyer les ordures après la fermeture d’une grande décharge. Plusieurs manifestations s’étaient déroulées pour pointer du doigt ce problème de gestion politique. Cinq ans plus tard, le projet citoyen Recycle Beirut propose des solutions efficaces et inventives pour organiser la filière de récupération et de valorisation des déchets.
Intriguée par ce projet, Sidonie prend rendez-vous avec le fondateur de Recycle Beirut, Rabih ZEINEDDINE dans le quartier de Jnah, au sud-ouest de Beyrouth, un quartier proche de l’aéroport, où se trouve l’entrepôt du projet.
« Quand nous avons commencé à parler de notre idée, on se moquait de nous », se souvient Rabih. « Qui aurait imaginé que les poubelles puissent avoir de la valeur ? »
Pour mener son enquête, Sidonie contacte d’abord Recycle Beirut via le site internet de l’entreprise. Elle reçoit immédiatement une réponse enthousiaste :
« Good evening dear. You are most welcome to pass by on wednesday, just let me know the suitable time for you. Wish you a nice night. Rabih, Operations Manager” – (Bonsoir ma chère. Vous êtes bienvenue pour passer mercredi, faites moi savoir quelle heure vous convient. Je vous souhaite une bonne nuit).
Sidonie récupère l’adresse exacte et prend rendez-vous pour 11h. Mercredi matin, Sidonie quitte l’appartement où elle réside dans le quartier Ain El Reimmaneh, direction Jnah. Le GPS sur le tableau de bord du taxi indique 12 minutes en voiture, mais la circulation est dense comme tous les jours à Beyrouth. Pour arriver à l’entrepôt, le véhicule traverse les quartiers chiites de la capitale. La rue est particulièrement animée : voitures, scooters et piétons tentent de se frayer un chemin à travers la circulation chaotique.
Enfin, le taxi arrive dans la rue de l’Ambassade d’Iran, où doit se trouver l’entrepôt. Mais aucun panneau ou devanture n’indique le chemin. Le chauffeur de taxi parle un anglais hésitant. Il fait de son mieux pour aider Sidonie à arriver à la bonne adresse. La voiture s’engouffre dans une petite allée descendante.
« Recycle Beirut, here » (« C’est ici »), s’écrit-il en montrant enfin le panneau du doigt. Sidonie remercie le conducteur et descend de la voiture. Elle entre dans le local, situé juste avant l’entrée du hangar où des employés sont en plein travail de tri des déchets. Rabih l’accueille avec le sourire et lui propose un café.
« Please, thank you », accepte Sidonie volontiers. Aussitôt l’un des employés file en scooter acheter le café un peu plus loin dans la rue ! Il revient avec une petite tasse en carton et une bouteille d’eau. Pendant ce temps, Rabih commence à expliquer les origines du projet qu’il a fondé avec deux autres personnes, un Américain, et un Allemand.
Sidonie et Rabih visitent le site. Rabih présente notre envoyée spéciale aux salariés, tous de nationalité syrienne.
« Nous voulons agir sur deux fronts : la crise des déchets et la crise des réfugiés », explique ce grand gaillard barbu, visiblement motivé à faire bouger les mentalités. « Avec l’argent que l’on récolte de la collecte des déchets recyclés chez les particuliers, nous pouvons payer les salaires de nos employés. »
Sidonie emboîte le pas à son guide à travers un petit hangar rempli de machines. Elle suit attentivement les explications de Rabih qui lui fait la démonstration d’un nouvel appareil qu’ils viennent de recevoir. Il s’agit d’une chaine de tri qui permettra aux employé.e.s en charge du tri de traiter cinq fois plus de déchets. Il lui montre aussi une machine pour piler le verre, et le transformer en sable. L’équipement doit servir à trouver une solution pour le verre coloré : « Personne ne prend ce verre coloré, nous le collectons, mais nous ne savons pas quoi en faire ensuite ».
Une fois la visite du site terminée, Sidonie propose à Rabih de réaliser l’interview à l’extérieur du bâtiment, plus calme que les bureaux où la souffleuse de la climatisation risque d’affecter la qualité sonore de l’interview. Même à l’extérieur, impossible d’être au calme : le chant du muezzin, l’appel à la prière de la mosquée voisine, s’invite dans l’enregistrement de la journaliste. Vous l’entendez en fonds sonore de l’interview.
Rabih répond en anglais aux questions des élèves, car il ne parle pas français. Au Liban, l’arabe est la langue officielle, le français est parlé par une grande partie de la population, même si l’anglais tend peu à peu à le remplacer.
Un reportage réalisé en janvier 2021 à Beyrouth.
Les réponses de l’interview sont retranscrites en français ci-dessous
1. Pouvez-vous présenter, ainsi que le projet Recycle Beirut ?
Je suis Rabih, le responsable de Recycle Beirut. Notre entreprise a débuté en 2015, nous étions trois personnes intéressées par cette idée, et après cinq ans et des missions à travers le Liban, nous avons maintenant dix salariés, la plupart sont Syriens.
2. Comment avez-vous eu l’idée de ce projet ?
À l’origine, trois personnes se sont réunies pour réfléchir ensemble et se mettre d’accord sur des manières de récupérer les déchets de particuliers, d’entreprises, d’universités… L’idée est de réduire la quantité de déchets jetés dans les rues, ce qui permet au moins d’assainir l’environnement des habitants, et également de faire passer un message pour montrer que tous ensemble, on peut faire du Liban un endroit plus écologique et plus agréable à vivre.
3. Quels sont vos objectifs ?
Notre objectif est de rendre le Liban plus écologique et durable et de réduire autant que possible, la quantité de déchets jetés dans les rues.
4. En quoi êtes-vous indépendant de la municipalité ?
Oui, nous sommes indépendants. Pour le moment, nous ne travaillons avec aucune des municipalités de quartier, ils sont une entité politique à part.
5. Comment procédez-vous au recrutement ?
Nous avons commencé en recrutant trois personnes d’origine syrienne. Ce sont elles qui nous ont présenté d’autres candidates, des femmes syriennes. Nous leur avons fait passer un entretien et avons compris leur situation. Ces salarié.e.s sont avec nous depuis cinq années maintenant.
6. Pourquoi travailler avec des femmes réfugiées syriennes ?
Et bien nous souhaitons soutenir leurs conditions de vie ici, leur permettre par exemple de rentrer en Syrie. Nous tentons de les soutenir en leur proposant un emploi afin qu’elles puissent se rémunérer et partager l’argent avec leur famille.
7. À quoi servent les fonds collectés ?
Avec l’argent de la collecte, car ces collectes chez nos client.e.s sont payantes… Avec cette argent, nous remboursons nos coûts opérationnels et nous payons les salaires de nos salarié.e.s.
8. Comment communiquez-vous avec la population pour les impliquer ?
Il y a deux possibilités : soit les personnes déposent elles-mêmes leurs déchets, et nous leur proposons une visite du site au passage. Soit nous organisons une collecte depuis chez elles. Certaines personnes ont du mal à accepter l’idée de payer pour que nous puissions récupérer ces matières recyclables. Mais la plupart de nos client.e.s commencent à bien comprendre car nous avons beaucoup expliqué sur les réseaux sociaux l’intérêt de bien recycler. (« Et si les personnes viennent par elles-mêmes, elles ne paient pas ? » demande Sidonie.) Non, et nous pouvons même leur faire la visite du site !
9. Combien coûte le forfait permettant aux habitant.e.s de bénéficier de vos services (collecte de déchets à domicile) ?
Actuellement, nos coûts opérationnels ont grimpé en raison des fluctuations monétaires au Liban, nous récupérons 13,000 livres par collecte (soit 7 euros environ).
10. Comment l’État s’occupe-t-il de la gestion des déchets ?
Ils ont deux grandes compagnies à Chouaifet et à Beyrouth, Ramco, où ils réunissent tous les déchets. Je crois qu’ils les brûlent. Ils ont un lieu où sont réunis tous les déchets, et ils font de grands tas, et les laissent sous la forme d’une décharge à l’air libre.
11. Les municipalités ont-elles tiré des leçons de la "crise des poubelles" ?
Non, elles n’ont rien fait ! Nous avons beaucoup aidé les municipalités à rassembler les déchets, particulièrement pendant les confinements en novembre, mars et juillet. Nous leur avons prêté nos camions, nos salariés et avons aidé la municipalité à évacuer les déchets. Je pense que les municipalités devraient coopérer avec toutes ces organisations et ONGs pour comprendre l’importance de valoriser les déchets qu’elles collectent. Je pense qu’un jour, elles comprendront l’intérêt économique de ce type de raisonnement, et elles élargiront leur territoire de collecte. Actuellement, tous les déchets recyclables sont gérés sous la forme de décharges.
12. Pour mieux gérer cette question des déchets, l’Etat manque-t-il d’argent ?
Non, ce n’est pas une question d’argent. Ils doivent commencer à accepter que nous pouvons les vendre à d’autres pays qui sont prêts à nous acheter ces déchets, en Europe. Il y a deux-trois ans, la Suède avait déjà proposé de nous racheter des poubelles, le gouvernement n’a pas accepté. Il y aurait de nombreux pays… Si l’Etat ouvrait maintenant la possibilité d’exporter nos cartons, la plupart des compagnies pourraient nous envoyer, leur plastique, déchets, carton pour être ensuite exporter… mais nous n’avons pas la possibilité de le faire.
13. Alors pourquoi la situation est-elle bloquée ?
C’est en raison de la corruption : les personnalités politiques veulent contrôler le pays, et que personne ne les remette en question en dehors de leur zone de confort.
14. Comment la population participe-t-elle à ces opérations ?
Nous avons fabriqué des boîtes pour le plastique et les papiers. Nous les distribuons aux particuliers pour qu’ils puissent trier chez eux le papier, le plastique, les équipements électroménagers. Et quand ils ont amassé ces déchets en quantité suffisante, ils nous appellent pour que nous passions collecter ces boîtes. Nous nous adressons beaucoup à des entreprises, auxquelles nous distribuons des grands bacs où ils trient le papier, le plastique, le métal séparément, et chaque deux semaines ou une fois par mois nous passons récupérer ces bacs. Les personnes qui participent à ce travail, nous baissons nos prix, car nous les considérons comme des partenaires de notre mission de tri. C’est une question de sensibilisation : nous les soutenons et elles aussi nous soutiennent en nous facilitant le tri.