Kwaï nid8ba ! - Bonjour mon ami !

Publié le 25 décembre 2019

Notre envoyée spéciale, la journaliste Marine LEDUC, participe à un cours de langue abénakise à Odanak. Elle nous fait part de ses découvertes.

CARNET DE ROUTE

Trois jours après être arrivée à Odanak, Daniel NOLETT, le directeur du conseil, m’invite à déjeuner avec les aînées dans une salle communautaire. Après avoir mangé un délicieux ragoût de chevreuil chassé et cuisiné par Daniel, celui-ci me propose d’assister à un cours de langue abénakise le soir même au même endroit.

J’arrive à 19h et m’installe à côté de Daniel. Le professeur s’appelle Philippe CHARLAND et donne un cours de langue abénakise chaque mardi de 19h à 21h. Il enseigne aussi au CÉGEP Kiuna.

Philippe CHARLAND donne le cours de langue abénakise chaque mardi

La langue abénakise fait partie de la famille des langues algonquiennes, comme l’atikamekw ou l’innu, tandis que le mohawk et l’huron sont des langues iroquoiennes. Certaines communautés, surtout isolées, ont réussi à garder leurs langues, mais ce n’est pas le cas de l’abénaki, qui a désormais très peu de locuteurs. Daniel NOLETT est un des seuls qui connaît la langue et qui peut la parler couramment. Il y a encore une soixantaine d’années, les habitants d’Odanak communiquaient entre eux dans leur langue maternelle. Avec l’épisode des pensionnats, beaucoup ont perdu l’usage de celle-ci.

Trois autres personnes participent au cours, dont un jeune Abénaki qui souhaite enseigner la langue à ses enfants. Ce n’est pas une tâche facile, car il s’agit d’une langue complexe, bien différente de ce que nous connaissons. Pour moi, apprendre une langue est fascinant, car on découvre une nouvelle culture et une nouvelle façon de penser.

Plusieurs traductions de danses traditionnelles

Par exemple, j’ai la surprise de découvrir qu’il n’existe pas de genre féminin ou masculin, comme nous le connaissons dans la plupart des langues proches de la nôtre. Par contre, il existe deux genres distinctifs : ce qui est animé et ce qui est inanimé. Et les adjectifs, pluriels, etc. s’accordent en fonction de ces deux genres. Le plus intéressant est à venir…

Ce qui est animé pour les Abénakis, ce sont les humains, les animaux, mais aussi les végétaux et ce qui se passe dans le ciel : tempête, neige, soleil, etc. Cela compte aussi pour quelques objets, comme le verre, « aasazit » qui signifie « celui qui est transparent ». Tout le reste est considéré comme inanimé.

En étudiant une langue si ancienne, on peut donc voir le rapport qu’entretenaient les Premières Nations avec la nature qui les entourait. Un rapport respectueux et spirituel envers celle-ci, car les animaux, les plantes et les phénomènes de la météo étaient mis au même plan que les êtres humains.

Plusieurs façons de parler du travail en abénaki

Pour donner quelques exemples, les pluriels des êtres animés se terminent avec un « ak » ou « ok », tandis que les pluriels des objets inanimés se terminent avec un « al ».

Femme : phanem (prononcé panèm)
Femmes : phanemok (panémok)
Table : tawipodi
Tables : tawipodial

En ce qui concerne la prononciation, quelques sons diffèrent. Pour lire certaines langues orales ou originellement écrites dans un autre alphabet, les sons que l’on ne connaît pas dans l’alphabet latin sont remplacés par des chiffres. Ainsi, on peut voir des mots écrits en abénakis avec un « 8 ». C’est un son très nasal, entre le « an » et le « on ».

« Bonjour mon ami ! » : Kwaï nid8ba ! (‘kouaïe nidonba’)

Ensuite, pour rajouter des adjectifs, ils sont collés au mot de base. Pour signifier que c’est petit, on rajoute un « sis ». Pour dire qu’il s’agit de la version féminine, on rajoute « skwa ».

Mon petit ami : nid8basis (nidonbassisse)
Ma petite amie : nid8baskwasis (nidonbaskouassisse)

Enfin, pour dire « mon ou ma » on rajoute un « n » au début du mot, pour « ton, ta », c’est un « k », et pour « son, sa », on ajoute un « w ». Certains objets ont toujours ces lettres au début du mot, car ils appartiennent toujours à quelqu’un (vêtements, parties du corps, membres de la famille...). Dans le cas où il faut nommer certains de ces objets sans propriétaire, on ajoute un « m » au début du mot. Par exemple, vous connaissez sans doute le mot « mocassin », les chaussures traditionnelles des autochtones. Le mot vient de l’algonquin « mkezen » (mè-kessène), qui veut dire « chaussure ». Voici comment on l’accorde en fonction de l’appartenance :

Ma chaussure : nkezen (ènnekessène)
Ta chaussure : kkezen (kekèssène)
Sa chaussure : wkezen (wokèssène)

Et tout ça n’est qu’une infime partie des richesses et de la complexité de cette langue. À la fin du cours, j’ai essayé d’inventer un terme pour mettre en pratique ce que j’ai appris. Dans le cahier de Daniel, je découvre le mot « marin » en abénaki : « nodaksid ». Si je rajoute « skwa », cela devrait être la version féminine du mot, soit mon prénom, « Marine » !

« Nodaksidskwa. »

Il n’existe pas encore dans la langue abénakise, mais rien n’empêche de former de nouveaux mots et de jouer avec la langue, comme le font si bien les Québécois avec la langue française !

Odanak sous la neige

Merci et au revoir ! « Wliwni, adio ! » (woliwèni, adio !)

Reportage réalisé en décembre 2019