Arrivée le 3 janvier 2021, Sidonie HADOUX est à Beyrouth depuis 15 jours maintenant. La première semaine fut marquée par l’annonce du confinement, ce qui a contraint la journaliste à s’adapter. Mais voilà que la seconde semaine est frappée d’un confinement total, une sorte de couvre-feu 24/24 pendant dix jours. Comment travailler dans ces conditions ? Elle vous explique.
Carnet de route
C’est tombé lundi 11 janvier : à l’issue d’une réunion extraordinaire au palais de BAADBA, le Conseil supérieur de défense a annoncé le bouclage total du Liban du 14 janvier à 5h00 jusqu’au 25 janvier à 5h00. L’état d’urgence sanitaire est déclaré. Selon le gouvernement libanais, la propagation du virus est « désormais hors de contrôle ».
Le confinement est en place depuis 4 jours. Les rues et les routes sont un peu moins bondées que d’habitude, mais il est vrai qu’il n’est pas évident de sentir le poids des mesures dans les rues de Beyrouth, exceptions faites de la fermeture des bars et des restaurants.
Avec les conditions de cette première étape du confinement, je peux encore me déplacer, les taxis et bus fonctionnent normalement – en respectant tout de même la règle de la circulation alternée : un jour, pour les voitures dont la plaque d’immatriculation se termine par un nombre pair, l’inverse le jour suivant.
En tant que journaliste, je peux donc officiellement me déplacer. Mais déjà, beaucoup de nos interlocuteur.trice.s n’acceptent les interviews que par visioconférence. Il faut alors s’adapter .
Pourquoi une interview en visioconférence ne doit pas devenir la norme ?
En tant que journaliste, je m’inquiète des habitudes que nous sommes en train de prendre. Bien sûr, je ne peux forcer personne à me rencontrer, et de toute façon les endroits de rencontres possibles (bureaux, locaux, entreprises, etc) sont pour la plupart fermés. Et la situation sanitaire nous oblige à la plus grande prudence. Cela me fait prendre conscience de l’importance du terrain. Le journalisme de terrain coûte, et il est déjà mis à mal depuis plusieurs années pour des raisons économiques. Le coronavirus vient ajouter un obstacle supplémentaire au travail des reporters. Alors, assise à mon bureau depuis deux jours, je rêve du jour où je pourrai de nouveau exercer mon métier – comme avant.
Une interview, c’est une rencontre avant tout. Certaines vous marquent, d’autres non. Certaines sont plus ou moins intéressantes, plus ou moins intenses. Certain.e.s interlocuteur.trice.s vous restent à jamais en mémoire, voire deviennent des ami.e.s, ou simplement des personnes à qui vous demandez des nouvelles de temps en temps.
Comment créer ce temps spécial sans avoir l’énergie de la personne qui se mélange à la vôtre ? Quelle place pour les discussions informelles avant et après les interviews ? Ces échanges inattendus sont parfois les plus intéressants. Parce que personne ne peut se satisfaire de ne parler que d’un ordinateur à un autre. Mais surtout, quelle place pour notre travail d’observation ? Et de vérification des faits ? Comment produire une information fiable quand on ne voit rien d’autre qu’une image pixélisée sur un petit écran d’ordinateur ?
Le terrain c’est aussi cela : un gage de qualité. C’est passer du temps à observer les décors, les détails, les visages, les corps, à sentir, à analyser la personne qui est en face de nous. C’est apprendre à ressentir. Contredire. Interroger. Demander des explications au sujet d’un détail qui nous semble intéressant, suspicieux, pertinent, drôle, etc. C’est pouvoir « trainer dans les pattes » de son interlocuteur.trice pour créer une relation de confiance. Revenir. Plusieurs fois. Prendre des photos. Documenter.
Tout cela demande des heures de travail sur le terrain. Au milieu des gens et de leurs projets, de leurs initiatives, ou bien encore leurs lieux de vie.
C’est pour ces raisons que, invitée à rester déjeuner après l’interview de Mohammad Nour, Moayed et Mayssam AL MOUSTAFA, chez eux dans le quartier de BURJ ABOU HAIDAR, j’ai senti un profond plaisir, celui de partager. Idem, en revenant de Chtaura mercredi, après le reportage dans la ferme de l’association Buzuruna Juzuruna.
Cela fait oublier les scènes de panique dans les supermarchés du début de semaine. « Panique » est peut-être un peu exagéré. Le peuple libanais est malheureusement habitué aux crises. L’annonce de fermeture des supermarchés a surpris, car une telle mesure n’a jamais été prise auparavant. Mais les enseignes peuvent s’organiser pour assurer la livraison aux domiciles des clients.
Je sors tout de même au deuxième jour du couvre-feu. Les petites épiceries de ma rue restent ouvertes, tout comme la boulangerie qui prépare les manouche zatar et fromage que j’adore.
Dans les rues, très peu de vie. Quelques personnes marchent, souvent avec un chien. Le boulevard que je dois traverser pour rejoindre le rue de Badaro est quasiment vide.
Je peux m’agenouiller au niveau du passage piéton pour prendre une photo. D’habitude je dois ruser d’habilité pour traverser en zigzaguant entre les voitures, les vans, et les scooters.
Officiellement, nous pouvons sortir pour plusieurs raisons. L’Etat libanais mis en place un système d’attestation en ligne, un peu similaire à celui que nous avons eu en France durant les deux derniers confinements. Je peux donc sortir – en dehors de ce qui découle de mon travail de journaliste - pour aller à la boulangerie, à l’hôpital, à la pharmacie, pour demander un visa, pour souscrire à une assurance, et pour « acheter un magazine ou un journal ».
En attendant de pouvoir vous montrer autre chose du Liban que ce que je vois de ma fenêtre, nous allons publier de nouvelles interviews très intéressantes. Et nous croisons les doigts pour pouvoir réaliser de beaux reportages de terrain la dernière semaine du séjour.