L’Europe est le continent qui accueille le moins de réfugiés

Publié le 24 décembre 2016

Jessica BLOMMAERT travaille pour le Ciré (Coordination Initiatives pour Réfugiés Etrangers) sur les questions d’Asile et de protection. Elle répond aux questions des globe-reporters Deniz, Ulukaya, Alara, Safa, Bora, Dora, Sena, Sude, Lal, Zeynep et Tolga d’Istanbul sur le sort des réfugiés en Europe.

Droits humains, solidarités et citoyenneté

Le Ciré est une coupole de 23 organisations non gouvernementales, basée à Bruxelles, qui milite pour le respect des droits des étrangers, avec ou sans papiers, sur le territoire belge. Elle mène des actions de plaidoyer et de sensibilisation à ces questions et rédige des recommandations. Le Ciré propose par ailleurs des services comme une école de langue, des formations, un premier accueil, une aide socio-juridique ou encore une aide au logement.

Pourquoi le quota des réfugiés en Europe est-il limité ?

J’imagine que vous parlez de demandeurs d’asile relocalisés. Il faut distinguer d’une part les demandeurs d’asile qui enregistrent une demande de protection, des réfugiés d’autre part. Ces derniers sont reconnus comme tels au terme d’une procédure d’asile puis sont donc placés sous protection internationale.

La question des quotas concerne essentiellement les demandeurs d’asile arrivés sur les îles grecques ou italiennes. Par solidarité avec ces deux pays, l’UE a décidé de quotas obligatoires de relocalisations, c’est-à-dire que les Etats membres prennent en charge des demandeurs d’asile qui sont déjà arrivés et enregistrés dans ces deux pays.

Ensuite il y a eu des discussions assez difficiles entre les Etats qui ont abouti à un accord visant à relocaliser au départ 160 000 demandeurs d’asile dans les autres Etats membres. Ce quota a depuis été réduit. C’est de toute façon très peu car en 2015 un million de personnes sont entrées par la Grèce et l’Italie. Mais quand on regarde les chiffres de la mise en oeuvre de la relocalisation, on n’a pas du tout atteint les objectifs de quotas espérés. En novembre dernier seules quelques 10 000 relocalisations sur 160 000 avaient été atteintes en Europe. Or le délais d’application courre jusqu’à septembre 2017. Cela montre bien à quel point il est difficile de mettre en oeuvre cet accord.

Est-ce qu’il y a des différences dans les quotas entre pays de l’UE et sont-ils tous d’accord sur la politique à mener ? 

Les Etats sont parvenus difficilement à cet accord de juillet 2015. La Commission européenne a proposé que chaque pays prenne un certain nombre de personnes. La répartition de ces 160 000 demandeurs d’asile tient compte de critères tels que le nombre d’habitants dans le pays d’admission. Le soucis c’est que certains membres de l’UE, notamment les Etats de l’Est, remettent en cause ce mécanisme obligatoire de solidarité. Certains, comme la Hongrie, contestent ce mécanisme alors qu’ils sont obligés de s’y tenir puisqu’ils font partie de l’UE. La Hongrie a même organisé des campagnes anti demandeurs d’asile et organisé un référendum à ce sujet. Elle a sondé sa population alors que cette décision ne devrait pas lui être soumise. La majorité n’a pas été obtenue à ce référendum.

C’est assez grave de ne pas se soumettre aux obligations européennes, surtout que l’on parle de personnes qui à priori ont besoin de protection internationale, ce qui concerne essentiellement les syriens actuellement. Politiquement c’est très compliqué alors qu’on ne parle que de 160 000 demandeurs d’asile, ce qui est très peu au regard de la réalité et des besoins de terrain, quand on voit la situation en Grèce et en Italie c’est assez catastrophique. On voit que les Etats européens ne sont pas solidaires du tout sur cette question. Même les Etats qui ne remettent pas en cause ce principe peinent à mettre en oeuvre leurs engagements, comme la Belgique par exemple.

Y a-t-il des différences de conditions d’accueil d’un pays à l’autre ? 

Il y en a énormément. En principe tout le monde est censé appliquer les mêmes standards, même s’il y a des possibilités d’aménagements nationaux. Mais dans la pratique il y a de grandes disparités, il n’y a pas d’harmonisation au niveau européen, ce qui a des conséquences assez importantes pour les demandeurs d’asile. Ils ne seront pas traités de la même manière d’un pays à l’autre, ce qui n’est pas souhaitable.

Par exemple les personnes dans des centres d’accueil ou de détention en Grèce sont globalement dans une situation de grande précarité avec très peu d’accompagnement, peu d’information et restent dans l’attente de décisions prises des mois plus tard, c’est une situation assez préoccupante. En Belgique par exemple c’est différent, tout est toujours améliorable mais ce n’est pas comparable.

L’accueil et le traitement de la demande d’asile varient donc et malheureusement les demandeurs ne peuvent pas choisir leur pays de demande. Quelqu’un qui arrive en Italie et dont on prend les empreintes digitales, se retrouve « fiché » dans ce pays. Le règlement de Dublin prévoit que le premier pays d’entrée dans l’UE traite la demande d’asile donc il y a une grande injustice aussi pour les migrants à ce niveau là. Si le système était harmonisé ça poserait moins de problèmes.

Quels sont les droits des migrants, ont-ils les mêmes droits que les citoyens européens ? 

« Migrant » est un terme très général, il inclut toute personne qui migre, dont les expatriés. On distingue le fait qu’une personne soit autorisée à entrer sur le territoire ou non. Si quelqu’un entre sans visa dans un pays, elle n’a pas les mêmes droits.

A partir du moment où une personne introduit une demande d’asile elle est par contre en séjour légal provisoire. Pendant la durée de l’examen de sa demande, recours compris, elle doit être accueillie et a droit à une série d’accompagnements, d’accès au soin par exemple. C’est très important. Elle a des droits et des obligations à respecter.

Ont-ils le droit de travailler ?

Les demandeurs d’asile en Belgique ont le droit de travailler après quatre mois s’ils n’ont pas reçu de décision quant à leur requête. Ils on la possibilité de faire des démarches auprès de la région pour obtenir un permis de travail. Ils peuvent aussi faire du bénévolat durant cette attente. S’ils ont reçu une réponse négative ils n’en ont par contre pas le droit.

Les enfants de moins de 18 ans eux sont obligés d’aller à l’école. Ils se retrouvent souvent dans des systèmes où âges et nationalités sont mélangés pour apprendre à maîtriser la langue du pays d’accueil. Il faut d’abord que chacun ait des bases communes avant de pouvoir intégrer des classes qui correspondent à leur niveau et à leur âge. Cela se fait progressivement et en fonction de la situation des parents.

Est-ce que les réfugiés syriens sont victimes de racisme ?

J’imagine que oui, mais je ne pense pas que ce soit généralisé. Je pense que ce n’est pas lié à cette nationalité mais que ça peut être le cas malheureusement pour tous les réfugiés. En Belgique nous recevons des personnes qui viennent d’Irak, d’Afghanistan, de Guinée, d’Erythrée, mais aussi des Iraniens, des Tchétchènes, des Palestiniens. Il y a beaucoup de nationalités. On se focalise sur les syriens mais il y a de nombreuses personnes qui fuient d’autres violences et persécutions dans d’autres régions du monde. En Europe on entend parfois des discours politiques qui amalgament réfugiés et criminels, voire terroristes, car ils ont beaucoup de préjugés qui peuvent avoir des conséquences graves. Leur but est d’appliquer des discriminations, on le ressent et on le voit.

Est-ce que l’Europe acceptera encore les syriens après la guerre ?

Seul l’avenir nous le dira. Il faudra déjà voir s’il y a une fin à cette guerre et puis attendre alors des années avant d’espérer une stabilité dans cette région. Toute une série de personne devra continuer de bénéficier d’une protection internationale même si on décrète que la guerre est finie. Cela me parait évident. 

En théorie on peut organiser les retours des personnes qui ont quitté un pays en guerre. Il existe deux statuts : celui de « réfugié » selon la Convention de Genève et celui de « protection subsidiaire » qui est une création du droit européen et prévoit de protéger les personnes qui ne rentrent pas dans le critère de réfugié mais dont on reconnaît qu’elles ont besoin de protection car elles risquent de subir des atteintes graves de retour dans leur pays d’origine. Cela concerne essentiellement des personnes qui ne sont pas réfugiées mais fuient des pays en guerre ou des conflits armés.

Cette protection ci doit être temporaire. Malheureusement les conflits qui produisent le plus de départs sont en guerre depuis de très nombreuses années donc ce n’est pas aussi simple. Actuellement, la majorité des personnes qui obtiennent un statut de protection subsidiaire en Belgique ne sont pas renvoyées dans leur pays d’origine. La grande majorité, une fois protégée, est amenée à rester.

L’Europe et la Turquie ont passé un accord sur la gestion des migrants, ont-elles la même approche ? 

Nous sommes contre cet accord pour plusieurs raisons. L’objectif principal est de faire en sorte que les réfugiés, notamment syriens, n’arrivent plus en Europe. Cela revient à monnayer le fait que la Turquie gère sur son territoire l’accueil et la protection de ces personnes alors que si elles arrivaient sur notre territoire on devrait les accueillir et les protéger en vertu de nos obligations internationales. C’est ce qu’on appelle l’externalisation de l’asile : le fait de se décharger, de sous-traiter ses obligations en matière d’accueil et d’asile à d’autres pays. 

Ce qu’on conteste également c’est que la Grèce peut, en vertu de cet accord, considérer que la Turquie est un pays sûr pour les migrants et les réfugiés. La Turquie n’a en effet pas ratifié la Convention de Genève de 1951 donc elle ne peut pas offrir un statut dans les mêmes conditions que l’UE qui apporte beaucoup plus de garanties. Il y a quand même la possibilité d’obtenir un statut humanitaire avec un minimum de droits en Turquie mais ce n’est pas du tout le même niveau de protection.

On considère en outre qu’il y a beaucoup de problèmes en Turquie. Certains turcs demandent d’ailleurs une protection à la Belgique et l’obtiennent. Cela nous pose problème que l’UE préfère donner de l’argent à un autre pays pour prendre en charge des réfugiés qu’elle devrait prendre en charge elle même. D’autant plus que la Turquie est le pays qui a accueilli le plus de personnes au monde, environ trois millions, ce qui est énorme comparé aux arrivées en Europe. L’UE accueille seulement 6% de réfugiés, c’est le continent qui accueille le moins de réfugiés ! C’est inacceptable et cela pose beaucoup de questions au niveau de nos obligations internationales. Nous sommes donc contre le maintien de cet accord. 

Reportage réalisé en janvier 2017

Sources photographiques

A Bruxelles, comme ailleurs en Europe, les associations de défense des étrangers et des droits de l’Homme lancent des campagnes actives pour combattre les idées reçues sur les étrangers (Ici, des livrets du Ciré et d’Amnesty International)
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Dans les universités, la crise des réfugiés alimente de nombreux colloques et conférences.
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De nombreuses fausses informations circulent en Europe sur les réfugiés et les étrangers, le Ciré a sorti un livret où il bat en brèche 10 préjugés
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Jessica Blommaert est chargée des questions d’asile et de protection au Ciré
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La dernière campagne de sensibilisation du Ciré vise à combattre les préjugés sur les réfugiés
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Les critiques de la gestion de la crise migratoire par l’UE sont visibles jusque sur les murs de la Commission Européenne…
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Une autre campagne de sensibilisation organisée par le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme à l’occasion de la « Journée Internationale des migrants  »
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