Réconcilier les enfants abandonnés avec leur histoire

Publié le 21 février 2019

Marion Leroy-Dagen est née en Roumanie et a été adoptée par un couple de Français à l’âge de 6 ans, en 1982. Elle a retrouvé ses parents biologiques et a monté une association, Orphelins de Roumanie, qui aide les enfants abandonnés sous la dictature à retrouver leurs origines. Elle répond aux questions des globe-reporters de la 5e Carangue, du collège Jean-Lafosse, à Saint-Louis.

Droits humains et solidarité

« Sous le régime dictatorial de Ceausescu, de nombreux enfants ont été abandonnés, car non désirés. En effet, le dictateur interdisait aux femmes d’avorter, car il souhaitait voir la natalité de son pays augmenter. Comment ces enfants se sont-ils construits ? Comment tentent-ils de renouer avec leurs racines aujourd’hui ? Comment vivent-ils la période qui suit les retrouvailles avec leurs parents ? »

Voici la commande des globe-reporters du collège Jean-Lafosse. C’est Andrei Popov, ancien journaliste à Radio Roumanie internationale et ancien chargé de communication à l’Institut français de Bucarest, qui recommande à Elodie de s’adresser à l’association française Orphelins de Roumanie et à sa présidente, Marion Dagen-Leroy.

Marion Dagen-Leroy peut répondre à toutes les questions posées par les globe-reporters : elle est à la fois personnellement concernée par le sujet, puisqu’elle a été elle-même placée dans un orphelinat, sous Ceausescu, puis adoptée par un couple de Français. Elle a recherché et retrouvé ses parents, puis a créé l’association Orphelins de Roumanie, pour accompagner d’autres adoptés dans leurs démarches.

Elle vient régulièrement en Roumanie, mais n’a pas de déplacement pendant la mission d’Elodie. L’interview se déroule donc par Skype. 

Marion, lors de l’interview par Skype

Pouvez-vous vous présenter ? 

Je m’appelle Marion Leroy-Dagen, je viens d’avoir 42 ans et je suis née en Roumanie. A 3 mois, ma mère a été obligée de me mettre dans une institution, car elle était mineure, seule et commençait à être malade. Elle m’a placée surtout dans l’idée de me protéger, avec l’objectif de me récupérer plus tard. C’était en 1976. J’ai été adoptée en 1982 par des Français, à l’âge de 6 ans.

Comment avez-vous fait pour retrouver vos parents ?

Ca a été très compliqué. Dans mon dossier, il était écrit que ma mère était décédée et que j’étais de père inconnu. J’avais le nom et le prénom de ma mère, mais on a toujours dit à mes parents adoptifs qu’elle était décédée dans un accident de voiture. Moi, je n’y ai jamais cru, il me fallait une preuve, car on n’avait pas de certificat de décès, rien.

En 1989, avec la chute du régime de Ceausescu, j’ai commencé à me poser beaucoup de questions sur mon identité, mes origines. C’est à partir de là que j’ai décidé de faire des recherches. J’ai fait mon premier voyage en Roumanie à 17 ans, en 1994. J’ai commencé à y aller avec des associations humanitaires, pour me ré-imprégner de mon pays, sa culture, sa langue, son histoire.

En juillet 2000, j’étais partie avec une association de travailleurs sociaux. Un week-end, on avait prévu de visiter un monastère, près de ma ville natale. On s’y est arrêté et on a commencé à demander un peu au hasard, dans un bar, si les gens connaissaient le nom de ma mère. On nous a orientés vers une maison, où une jeune femme nous a offert le café. Puis son père est arrivé et il a tout de suite fait le lien avec ma mère, car je lui ressemble beaucoup. Il la connaissait : c’était son ancien responsable à l’usine, il était au courant de toute son histoire. C’est lui qui nous a amenés jusqu’à elle, à 2-3 km de là. C’était vraiment un hasard.

Ce qui était délicat, c’est qu’à elle aussi, on avait dit que j’étais morte. Ce vieux monsieur, qui avait beaucoup de psychologie, est allé la voir. Il est ressorti avec elle, et c’est comme ça que les présentations se sont faites. En douceur, même si ça a été un choc. Ca s’est fait tellement dans l’imprévu, tellement rapidement, qu’on était pas prêtes. Ca a été un bouleversement, pour elle comme pour moi. Il nous a fallu beaucoup de temps pour réaliser qu’on était mère et fille.

Puis, en 2014, on a fait un documentaire avec la réalisatrice Ursula Wernly Fergui, sur les orphelins de Ceausescu, 20 ans après sa chute. Et en parallèle, on suit mon parcours, ma quête d’identité, mes trouvailles avec Ana, ma mère. Je lui ai alors posé des questions plus claires sur mon père. Et on l’a trouvé, un peu par hasard aussi. J’ai été très bien accueillie, car ma mère lui avait déjà dit que j’existais et il en avait parlé à sa famille. Là aussi ça a été une belle rencontre et un choc. Ca a été un moyen de boucler la boucle et de pouvoir raconter une histoire à mon fils, qui venait de naître.

Une photo envoyée par Marion, avec sa mère biologique Ana

Comment se passe votre vie depuis les retrouvailles avec vos parents ?

Ma vie s’est apaisée, puisque j’ai réussi à avoir des réponses, que je connais mon histoire. Bien sûr, on a gardé contact. Quand je vais en Roumanie, j’essaie de les voir, de comprendre leur histoire, leur culture. On prend le temps de se connaître, de se découvrir. On va chacun à notre rythme.

Ca a été difficile pendant longtemps avec Ana, car on a eu un problème de communication. Je parle très peu roumain, je comprenais ce que je voulais. Je l’ai beaucoup jugée et détestée. C’est en 2014 que j’ai compris qu’elle ne m’avait jamais menti, qu’elle avait toujours essayé de m’expliquer notre histoire, qui n’était pas évidente. Et c’est à partir de là que j’ai vraiment voulu que notre relation se déroule le mieux possible. J’ai aussi voulu lui donner une place dans ma famille en France, qu’elle soit reconnue comme une grand-mère pour mon fils. 

Avez-vous gardé des souvenirs de la période avant votre adoption ?

Oui. La vie en institution est très difficile, douloureuse. Il y avait beaucoup de carences sur les plans humain, alimentaire, sanitaire. Même si j’étais privilégiée, car je pense que la directrice avait décidé dès le départ que j’allais être adoptée, donc elle m’a donné de meilleurs soins qu’à d’autres. Mais j’ai des souvenirs de violences de la part des adultes, vis-à-vis de moi, mais aussi des autres enfants, notamment ceux en situation de handicap. Ca m’a énormément marquée.

Il y avait des périodes de survie, on se battait pour la nourriture. La loi du plus fort existait. On avait tous le syndrome d’hospitalisme : un enfant, quand il n’a pas de contact humain, sa seule solution c’est de se replier sur lui-même et de se balancer. Si les adultes ne réagissent pas, ça peut devenir des hurlements et ça peut aller jusqu’à la dépression.

Bonus : pourquoi avez-vous ensuite créé l’association Orphelins de Roumanie ?

Cette association existe depuis 2015. Ma cofondatrice avait créé un blog, un espace de parole pour les enfants qui ont été placés en institution, notamment en Roumanie. On s’est rencontrées, on a décidé de créer une association, pour proposer aussi un accompagnement personnalisé à la quête des origines, car ça n’existe pas : c’est une démarche très solitaire et un réel choc. Je travaille dans le social, je trouvais important d’avoir un accompagnement, pour que ça se passe le mieux possible. 

Comment se déroulent les retrouvailles entre parents et enfants ?

Nous essayons de préparer les enfants aux types de situation qu’ils peuvent rencontrer. Souvent, ils ne le sont pas. Soit les enfants partent directement en Roumanie, soit ils organisent d’abord une rencontre via les réseaux sociaux. Car c’est tellement fou, tellement irréel, qu’il y a cette envie de voir rapidement le visage de sa famille. Ensuite, il y a un déplacement, une rencontre, le plus souvent en Roumanie. Mais c’est très difficile parce qu’il y a au départ une image un peu idéalisée et, lors de la rencontre, il peut y avoir de la déception, à cause aussi des problèmes de communication. Pour que les rencontres se passent le mieux possible, on met les enfants en relation avec des traducteurs.

Après, comment se passe leur vie ?

Il peut y avoir de l’apaisement, mais il peut aussi y avoir de la déception. Chaque cas est différent, mais c’est assez rare qu’un lien se construise dans le temps. Je connais très peu d’adoptés qui ont réussi à créer une relation. Cela demande beaucoup d’énergie.

Et ils apprennent parfois qu’ils sont nés d’une histoire difficile, c’est très complexe.

Certains ont-ils eu envie de retourner vivre en Roumanie auprès de leur parent biologique ?

Il y en a très très peu, je ne connais qu’un cas. Moi par exemple, j’ai ma vie en France, ma famille, mon travail... Ce n’est pas dans mes projets de vivre en Roumanie. Par contre, je suis contente d’y aller, de passer du temps avec ma famille biologique.

Comment faites-vous connaître votre association aux parents roumains et aux enfants abandonnés vivant à l’étranger ?

On essaye de créer des événements culturels, on organise des projections du documentaire « L’enfant du diable ». Beaucoup de Roumains ne connaissent pas l’histoire, ne savent pas ce qui s’est passé dans les institutions. C’est un sujet très tabou. La culture est un bon moyen d’échanger.

On a créé un réseau en Roumanie, avec d’autres associations, les autorités, les ambassades, les universités... On se fait aussi connaître via les réseaux sociaux, mais je reste très vigilante, car beaucoup d’adoptés cherchent leurs origines vite fait-bien fait sur les réseaux sociaux et il y a un réel commerce par rapport à ça. Certains se font passer pour des détectives privés, donnent de fausses informations ou mettent en relation avec de fausses familles. C’est très dangereux.

A ce jour, combien d’enfants ont pu retrouver leurs parents grâce à votre association ?

Notre priorité n’est pas de faire de la quantité, mais de la qualité, parce que c’est un cheminement qui prend du temps. Par exemple, certains nous ont contactés pour la première fois il y a deux ans, et c’est seulement maintenant qu’ils se sentent prêts à entreprendre les démarches pour rechercher leur famille biologique.

Depuis 2 ans, on a eu près de 300 demandes. Une vingtaine ont abouti. Ca demande du temps et c’est tant mieux, parce que ce n’est pas rien : c’est un sacré chamboulement pour l’adopté, mais aussi pour la famille adoptive, qui est parfois réticente. Et ne parlons pas des familles biologiques, qui sont très peu préparées.

Comment procédez-vous dans vos enquêtes ?

On a créé un questionnaire, pour savoir où en est l’adopté. Ensuite on organise un entretien téléphonique, pour voir s’il est vraiment prêt et, à partir de là, on entreprend les démarches administratives.

La Roumanie a développé entre 2002 et 2005 un protocole pour la quête des origines, qui est très bien fait. Dès que les autorités recueillent le dossier, ils vont vérifier si la famille biologique est bien vivante. Si oui, ils la localisent. Un travailleur social va alors la rencontrer, pour lui expliquer que leur enfant biologique est à leur recherche. La famille donne ou pas son accord pour qu’il y ait des retrouvailles. Ca se passe pareil en France.

Qui est en mesure de vous aider dans vos démarches ? Quels obstacles rencontrez-vous dans vos enquêtes ? 

Ce sont les autorités et les services sociaux qui nous aident. L’obstacle, c’est que beaucoup de parents biologiques partent travailler à l’étranger et ne donnent pas leur nouvelle adresse. Ce qui veut dire qu’il faut renouveler la demande tous les six mois, pour savoir s’ils sont revenus... C’est compliqué.

L’Etat peut-il aider les enfants à retrouver leurs parents ? Y a-t-il un organisme officiel pour cela ?

Il y a l’Agence française de l’adoption et le service de l’adoption internationale, auprès desquels ils peuvent se renseigner. Mais souvent ils renvoient les gens vers nous, parce que nous sommes la seule association de France et d’Europe en la matière.

En Roumanie, c’est l’Autorité nationale pour la protection des droits de l’enfant et l’adoption (ANPDEA) qui s’occupe des démarches administratives. Mais il n’y a pas d’association de terrain pour l’accompagnement aux retrouvailles. Il est important aussi de former les travailleurs sociaux roumains sur cette question. On crée des liens avec eux, pour que ça se passe le mieux possible.

Comment le gouvernement roumain perçoit-il votre démarche ?

C’est important que les autorités roumaines et françaises réfléchissent ensemble à un meilleur dispositif. Il y a aussi des enjeux diplomatiques, donc ça demande du temps, et il n’y a pas beaucoup de moyens financiers.

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