Prendre soin des "euro-orphelins"

Publié le 18 février 2019

George Roman est directeur des programmes de l’association Salvati copiii (Sauvez les enfants), qui a créé des centres spéciaux pour les enfants dont les parents sont partis à l’étranger. Il répond aux questions des élèves de la 5e Carangue, du collège Jean-Lafosse, à La Réunion.

Education et jeunesses

C’est une question de société très importante en Roumanie : des centaines de milliers d’enfants grandissent sans leurs parents, partis travailler à l’étranger. Il y a une expression pour les désigner : les « euro-orphelins ».

Pour parler de ce sujet délicat, Elodie contacte d’abord Salvati copiii (Sauvez les enfants). C’est une association qui défend les droits des enfants et qui a développé un programme pour les « enfants restés seuls à la maison », comme elle les appelle : Salvati copiii a ouvert des centres, dans plusieurs villes du pays, pour accueillir ces enfants après l’école, leur apporter un soutien social et psychologique. 

Salvati copiii est membre de Save the children, l’une des principales organisations non-gouvernementales (ONG) internationales qui défend les droits des enfants. Elle est présente en Roumanie depuis 1990, juste après la chute du régime communiste.

George Roman travaille depuis très longtemps pour Salvati copiii : il a commencé comme bénévole, quand il était étudiant, en 1993. Il est ensuite devenu assistant social pour l’association, a exercé différentes fonctions. Il est maintenant directeur des programmes.

George Roman, directeur des programmes de Salvatiii copi

Après l’interview, qui a lieu dans les bureaux de Salvati copiii, l’envoyée spéciale lui demande s’il serait possible de se rendre dans l’un des centres ouverts par l’association, pour recueillir des témoignages d’enfants concernés. Sans problème, répond George Roman, qui arrange le reportage pour les jours qui viennent. Concernant les photos, il explique à Elodie qu’il faut faire attention : l’ONG dispose de l’accord écrit de la plupart des parents, mais il faut aussi respecter la loi roumaine, qui dit qu’il faut respecter la dignité de l’enfant, ne pas le présenter dans des contextes dégradants. Ca tombe bien : ce n’est de toute façon pas l’intention d’Elodie !

-Combien d’enfants sont concernés en Roumanie ?

Les chiffres officiels ne correspondent pas à la réalité, on compte environ 100 000 enfants dont les tuteurs ont été désignés par un juge, mais 200 000 enfants de plus sont dans cette situation en Roumanie, selon nos estimations. Voilà pourquoi c’est important de faciliter les démarches légales et de faire pression sur les autorités locales pour qu’elles remontent les situations de ce genre. Nous travaillons avec les autorités nationales dans ce cadre, notamment par le biais d’un numéro d’urgence et du site internet.

-Pendant combien de temps les enfants ne voient-ils pas leurs parents ?

Les parents partent en général pour plusieurs années et n’ont pas de solution pour emmener les enfants avec eux à l’étranger. La législation oblige les parents à signaler leur départ et à refaire ce signalement tous les 12 mois. Un dossier doit être établi pour qu’un juge accepte la personne désignée par les parents pour s’occuper de leurs enfants. Les parents qui vont travailler à l’étranger le font pour des raisons financières et leur offrir un avenir meilleur, une meilleure éducation.

-Qu’est-ce qui est le plus dur pour ces enfants ? 

Le plus dur est un sentiment d’abandon qui n’est pas bien compris par les enfants les plus petits. Il faut aussi s’assurer que les personnes chargées de s’en occuper en l’absence des parents en prennent soin. Les plus jeunes n’ont pas conscience de la durée de l’absence, ils pensent souvent que c’est pour toujours. Quand ils sont plus grands il plus facile à comprendre que l’absence est limitée, mais même une année c’est très long : ils ont besoin de leurs parents, de quelqu’un qui les soutient, leur sourit, joue avec eux et pas seulement des avantages matériels apportés par le travail de leurs parents à l’étranger. 

On connaît des cas d’enfants qui sont en dépression, le décrochage scolaire est un problème, certains ont fait des tentatives de suicide. Ce sont des enfants en souffrance qui développent des problèmes médicaux et psychologiques, c’est pour ça que notre association Sauvez les enfants a développé un programme national de numéro d’urgence. Il y a aussi un soutien pour les parents qui veulent en savoir plus sur la législation, des appuis aux assistants sociaux : on sillonne tout le territoire, on rencontre beaucoup de professeurs ou de personnes en contact avec ces enfants. 

-Qu’est-ce qui les aide à tenir bon ? 

Il est très important que les personnes désignées pour prendre soin des enfants soient suivies par les assistants sociaux, pour s’assurer que les enfants sont dans une bonne situation. Voilà pourquoi on fait des campagnes nationales. Il faut aussi qu’il passent du temps avec d’autres enfants dans la même position qu’eux, qu’ils puissent avoir accès à un psychologue , communiquent avec leur professeurs. Il y a aussi un grand besoin d’être en contact avec leurs parents par le biais de l’internet, c’est cela que l’on doit assurer. Nous avons des centres pour les enfants délaissés : ils peuvent rester pendant la journée, pour apprendre, ils sont soutenus psychologiquement. En même temps on essaie de créer une communication quotidienne de ces enfants avec leur parents à l’étranger, par téléphone ou par internet. Ces enfants souffrent à cause de l’abandon de leurs parents et en même temps pour nous c’st important d’investir dans des programmes destinés à ces enfants et d’avoir une législation plus adaptée pour leur famille et eux mêmes.

-En quoi l’attitude des enfants change-t-elle après le départ de leurs parents ?

Ils sont en souffrance, environ un tiers développe une dépression sévère. On découvre des changements comportementaux, ils peuvent devenir taciturnes ou agressifs, car ils ne se sentent pas bien. Le décrochage scolaire est un autre aspect négatif, ils ne sont pas intéressés par les cours et les activités de classe : on doit convaincre les professeurs et le ministère de l’Education de développer les activités parascolaires et l’accompagnement hors école par un professeur ou un psychologue. 

-Comment se passent les retrouvailles avec les parents qui rentrent quelque temps en Roumaine ?

Beaucoup de joie, ils ne sont pas très intéressés par les cadeaux apportés par leurs parents, ils veulent surtout passer du temps avec eux, raconter ce qu’ils ont fait avec leurs amis. Ils demandent à leurs parents de rester avec eux. Mais il faut bien voir que ces familles vivent dans une pauvreté très importante, il y a peu d’opportunité dans leur ville ou leur village. C’est pour ca que leur parents partent travailler à l’étranger, mais c’est difficile à comprendre pour les enfants. 

-Qu’est-ce qui aiderait les tuteurs, les grands-parents à mieux élever leurs enfants ?

Le soutien des services sociaux et de la communauté, mais celle ci est moins présente qu’avant. L’action des services sociaux est importante, on a eu des cas où les grands parents sont en incapacité de marcher, de suivre la situation scolaire, ils sont dépassés. Les visites dans les familles sont essentielles ainsi qu’un soutien matériel. Les proches d’un enfant, même si ils ne sont pas légalement les tuteurs doivent être conscients qu’ils ont un rôle de s’informer sur la vie de ces enfants. C’est aussi le rôle des services sociaux de maintenir ces relations entre les enfants et leurs proches.

Le siège de l’association Salvatiii copi

-En classe, comment se comportent les enfants dont les parents sont partis ? Sont-ils plus difficiles à gérer, que les autres ?

Le rôle des enseignants est très important on seulement d’un point de vue légal : les professeurs doivent connaître cette situation de parent qui travaille à l’étranger et les signaler au services sociaux. Mais aussi par l’attention qu’ils portent aux enfants, ces enfants doivent être stimulés, ils peuvent être amenés à faire des visites à la maison. à leur permettre d’avoir accès aux soins médicaux et psychologiques. C’est très dur dans certains villages où la moitié des enfants ont des parents à l’étranger. Malheureusement nous n’avons pas de centre dans tous les villages. 

-D’après vous, que font ceux qui s’en sortent le mieux ?

La solution c’est toujours être entouré par sa communauté et d’autres enfants, avoir des activités, passer du temps à l’école ou dans les centres sociaux, surtout ne pas rester seul, juste avec leurs frères et soeurs et leurs tuteurs. Il faut des moyens financiers, mais les petites communes peuvent s’adresser aux écoles. 

-Comment l’Etat gère-t-il le cas des enfants délaissés ?

Depuis 2013, nous avons une loi bien détaillée sur les obligations des parents qui doivent signaler leur départ et désigner un tuteur. Nous avons contribué avec l’autorité nationale pour la protection de l’enfance à l’élaboration de cette réforme. La loi exige que les tuteurs nommés par les juges, soient choisis dans la famille élargie. Jusqu’au quatrième degré ( grands parents, oncles et tantes), mais on a découvert en pratique que c’est difficile : parfois les enfants ne les connaissent pas du tout. Désormais la loi va autoriser des personnes proches, comme des amis de la famille, et pas seulement apparentés. C’est l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit être privilégié et ils doivent pouvoir vivre avec des personnes pour lesquelles ils éprouvent de l’attachement. 

-Est-ce que la question est jugée importante ?

C’est un sujet qui intéresse beaucoup les médias, il y a un intérêt pour les enfants et sur cette question, mais les services sociaux ne sont pas développés suffisamment dans les petits villages, en Roumanie : il y a deux pays. Une Roumanie rurale, avec 1/3 des villages qui ne comptent pas d’assistants sociaux, il y a des enfants invisibles qui ne sont pas connectés avec le système. 

-Toutes les couches sociales sont concernées ? 

Il y a un lien avec la pauvreté et ce phénomène. Certains personnes ne trouvent pas de travail en Roumanie, et partent pour cela à l’étranger. Ils sont issus de communauté pauvres, isolées d’un point de vue financier et culturel aussi. Travailler dans l’UE est vue comme une opportunité de se développer professionnellement. On ne juge pas ces parents et les commuantes qui sont concernés par le phénomène, mais l’état doit apporter un soutien plus important. 

-Pourquoi les enfants ne viennent pas avec leurs parents ? 

Beaucoup de dépenses sont occasionnées par la présence des enfants. Mes cousins par exemple ont fait le choix de partir seul, ils peuvent envoyer plus d’argent. Et difficile de loger 5, 6 personnes quand on ne peut louer qu’’un 2 pièces. 

L’intégration dans les écoles est aussi souvent un frein. Je ne connais pas la situation en France, mais en Espagne et en Italie, des classes sont créées spécialement pour les enfants roumains. Quand il n’y a pas de solutions, les parents ont peur que les enfants arrêtent leur éducation. Il faut trouver des solutions à l’échelle de l’Union européenne.

-Un dernier mot pour les globe-reporters ? 

On pense que l’Union europénne a un rôle à jouer dans la vie de ces enfants. En facilitant la vie des parents. Un congé annuel autorisé et financé pourra aider ces enfants. On a exprimé cette recommandation l’an passé et peut être qu’à l’avenir une directive obligera les employeurs à prendre soin de leurs employés en leur permettant de revenir une à deux fois chez eux par an.

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