"Oeuvrer pour un idéal demande de l’abnégation et du courage", Jacline MOURAUD

Publié le 19 avril 2019

Les globe-reporters du lycée DIDEROT à Carvin travaillent sur la problèmatique des gilets jaunes. Ils écrivent eux-mêmes un email à Jacline MOURAUD, gilets jaunes de la première heure (c’est à elle que l’on doit l’une des vidéos qui lança la contestation dans la rue) et fondatrice du parti Les émergents. Elle accepte immédiatement de répondre à leurs questions.

Droits humains et solidarités

Pouvez-vous vous présenter ? 

Je m’appelle Jacline MOURAUD, j’ai 51 ans et je suis hypnothérapeute, artiste et agent de sécurité incendie SSIAP 1.

Quelles ont été vos motivations initiales ?

J’étais ce jour là, comme tous les matins, en train de prendre mon café en écoutant les dernières informations du jour. Celles du 18 octobre 2018. On nous annonçait que le gouvernement envisageait de mettre des péages à l’entrée des grandes villes. Comme si nous ne payions pas déjà suffisamment partout, nous allions être punis, une fois de plus, parce qu’on possède une voiture. Dans le même temps, j’apprends qu’une femme a été retrouvée morte dans sa voiture, elle pesait 30 kilos. Cela m’a mise très en colère, et pour la passer, je décide de pousser un coup de gueule, que je mettrai sur facebook plus tard. Je m’enregistre, en une seule prise, et publie ma vidéo sur mon mur Facebook personnel le jour-même.

Regrettez-vous d’avoir lancé le mouvement ? Quel a été l’élément déclencheur dans votre vie ?

Je ne suis pas à l’origine du mouvement. Il y a eu trois éléments déclencheurs : la pétition Pricillia LUDOSKY, l’appel à un rassemblement d’Eric DROUET et ma vidéo. C’est l’agrégation des trois qui a donné naissance à ce mouvement. Si je le regrette ? Non. je suis toujours en accord avec les propos que j’ai tenus dans ma vidéo. Ce que je déplore, c’est la tournure des évènements. La stratégie de pourrissement du gouvernement, d’une part, et les radicalisations d’autre part, sont inacceptables et honteuses. L’élément déclencheur dans ma vie ? Je ne supporte pas l’injustice.

Pouvez-vous nous décrire votre situation personnelle (salaire/ pouvoir d’achat/ etc) ?

Je gagne moins de 700€ par mois et mon pouvoir d’achat se réduit à la portion congrue. Je ne me crée aucun besoin superflu et cela ne me pose aucune problème. Je n’irai pas revendiquer contre l’augmentation du prix du paquet de cigarettes ou de la bouteille d’alcool. Ce ne sont pas des besoins vitaux. Il faut se mobiliser pour l’essentiel et non pour des choses dont on peut très bien se passer. 

Quel est votre rôle au sein du mouvement et comment a-t-il évolué ?

Mon rôle peut être assimilé à « élément déclencheur », parmi les deux autres. Malgré qu’initialement, aucun rôle n’était visé. La conjoncture à fait le reste. Aujourd’hui, je suis toujours d’accord sur le fond, mais plus sur la forme. Dire qu’il y a un problème de pouvoir d’achat en France, c’était fait depuis le week-end du 17 et 18 novembre. Continuer dans la violence, saccager et mettre en danger la vie d’autrui, non ! Il y a une grande différence entre « se battre pour », « et s’attaquer à ». J’ai donc tout naturellement évolué vers de la proposition, de la construction et de l’engagement, tout en me détachant des violences et autres dégradations.

Quelles actions avez-vous réalisé ?

Après trois week-end passé sur le terrain, sont arrivés les évènements de l’Arc de Triomphe, début décembre. Il m’était impossible de cautionner ces actes. J’ai donc d’abord cherché comment je pouvais rendre cette colère constructive. Puis, laissant passer le temps de la digestion de tous ces évènements, je n’ai plus vu d’autre forme de propositions que celle de construire un nouveau parti politique pour le pays.

Selon vous, est-ce que les femmes sont plus touchées par la précarité que les hommes ?

Les femmes sont beaucoup touchées, elles sont cependant très fortes pour le cacher, ce qui fait que peu s’en rendent compte. Elles restent souvent à la maison pour s’occuper des enfants, ou bien elles aident leur conjoint dans l’entreprise, bien souvent, sans statut, ce qui ne leur construit aucune retraite. Le salaire égal à travail égal n’existant pas dans notre pays, elles sont d’autant plus pénalisées. Enfin, les femmes étant plus souvent veuves que les hommes, elles se retrouvent avec des allocations souvent diminuées, telle la pension de réversion, l’ASPA qui sera reprise sur la succession, etc.

Y-a-t-il beaucoup de femmes dans le mouvement ? 

Au début, et beaucoup de journalistes l’ont souligné, il y avait beaucoup de femmes dans le mouvement. Sans doute très conscientes des enjeux d’avenir pour leurs enfants. Mais au fil des semaines, cette participation féminine s’est délitée au profit de la violence masculine, qui les a fait déserter d’ailleurs, puisque, physiquement, les femmes se mettent en danger face à des hommes radicalisés. C’est d’ailleurs tout à l’honneur de celles qui n’ont pas suivis cette haine.

Lors des rassemblements, avez-vous déjà eu l’occasion de réaliser des conférences, des débats, des échanges uniquement entre femmes ?

Non, aucun débat entre femmes ne m’a été proposé. 

Vous avez été beaucoup sollicité par les médias, trouvez-vous qu’une part plus grande est faîtes aux acteurs masculins dans les médias au sujet des gilets jaunes ? 

Je crois qu’il faut distinguer deux paramètres : lorsque l’on est sollicitée sur un plateau télé, il faut avoir du répondant. Ce n’est un secret pour personne. Les médias ont d’abord décrédibilisé le mouvement, puisqu’aucun ne le comprenait. Les journalistes et autres politologues s’en sont donc donné à coeur joie pour « casser » les différents intervenants. Puis, le mouvement durant, ils ont été obligés d’admettre que le malaise était profond. Quelques femmes sont intervenues, mais à 20 ans ou à 30 ans, on a moins de vécu qu’à 50 ou 60. Les plateaux nécessitent d’avoir une histoire, une certaine maitrise de soi et surtout, un respect de son interlocuteur. Ce qui n’était pas le cas de tout le monde, vous vous en êtes bien rendu compte. Il existe au sein de ce mouvement des femmes de très grande qualité qui n’ont jamais eu la parole, malheureusement, se faisant supplanter par la gente masculine.

Concernant les revendications, ont-elles évolué depuis l’acte I ?

Les revendications du 17 novembre ne se retrouvent nulle part aujourd’hui. Nous sommes passé de : moins de taxes sur les carburants, pas d’alourdissement du contrôle technique, etc à RIC, démission de Macron ! C’est le pourrissement de la situation qui a amené cela. Je m’explique :

1- Le gouvernement ne répond pas, tétanisé par l’ampleur de la colère.

2 - Les extrêmes sont à l’oeuvre depuis le début du mouvement.

3 - Certains dissidents sont manipulés par des personnes qui agissent, en sous-main, pour renverser le gouvernement.

4 - Les manifestants continuent de suivre des personnes elles-mêmes manipulées par des ultras.

5 - Des manifestants sont en contact avec des acteurs « black-block » et ne s’en cachent pas, puisqu’ils le disent sur les plateaux. Résultat : La situation est devenue inextricable.

Quels sont les différentes tendances au sein des gilets jaunes ? Ya-t-il des dissensions au sein du groupe ?

Les dissensions existaient dès le départ. Tout comme l’assemblée nationale, chaque rond-point comportait déjà la représentation française des différents avis politiques. Certains se croient « propriétaires » des autres. Chacun veut faire régner sa petite loi. Sous couvert de démocratie, ils sont devenus de véritables dictateurs. Le seul paramètre dont ils ne tiennent pas compte, c’est qu’aucun d’eux n’est « propriétaire » du bulletin de vote de son voisin.

Que pensez-vous de la réaction du gouvernement ? et de l’usage des forces de l’ordre ?

La réaction du gouvernement est pour le moins contestable. Le manque de prise au sérieux du mouvement est flagrant. Ensuite, vient la stratégie du pourrissement, quand il aurait fallu répondre dès le 19 novembre, afin de ne pas laisser dégénérer la situation. Aujourd’hui, tout est hors de contrôle. Les forces de l’ordre ne sont pas à mettre en cause. Ce sont les donneurs d’ordre qu’il faut considérer. Le gouvernement, sur la politique sécuritaire est obligatoirement en dehors des clous, puisqu’ils ont laissé la situation évoluer vers de la radicalité. Mais pour autant, il existe des lois que vous et moi devons respecter, sinon, l’anarchie l’emportera. Et vous vous retrouverez comme au temps de la révolution, ou l’on sonnait à votre porte le matin et, sans aucune forme de procès, le soir vous aviez la tête tranchée. Est-ce cela le dessein de la France ? Une régression ?

Pourquoi avez-vous créé votre parti et dans quel but ?

Entre Noel et Nouvel An, j’en suis arrivée à la conclusion suivante : si nous voulons nous faire entendre, il faut nous structurer, puis proposer. Toujours dans le respect des lois et des institutions, hors de toute violence. Nous sommes donc au travail depuis quelques semaines, et au fil du temps, beaucoup de personnes nous rejoignent. Quelques gilets jaunes, mais surtout, un bon nombre de personnes qui n’étaient pas dans la rue. Celles-ci comprenaient le malaise, mais n’étaient pas du tout d’accord avec la forme de contestation. Nous voulons peser sur la vie démocratique du pays, respectueusement.

Si vous étiez présidente, quelles seraient les mesures que vous souhaiteriez mettre en place ?

- Premièrement, et à quelques semaines des élections européennes, une reconnaissance du vote blanc. C’est aussi un suffrage exprimé, il n’est pas normal qu’il ne soit pas reconnu comme tel.

- Instaurer la participation obligatoire aux bénéfices de l’entreprise. Ce que relèvera le pouvoir d’achat, sans conteste.

- Créer des comités citoyens, afin que tous, puissions prendre part à la vie de la cité. (remarquez qu’il a toujours été possible à tous de se rendre aux conseils municipaux dans toutes les communes de France).

- Mettre en place des référendums possibles, encadrés, sur les questions locales, régionales voire nationales. Mais en aucun cas n’instaurer des référendums révocatoires. Ceux-ci étant l’inverse d’une stabilité de l’état. Dans un second temps :

- remettre à plat toute la fiscalité du pays. Plus rien n’est cohérent ni audible aujourd’hui.

- Extraire la fiscalité « verte » du budget de l’état. Punir les entreprises les plus polluantes pour redistribuer à celles plus vertueuses. En passant par une caisse verte, pour une conscience tranquille, l’écologie deviendrait un socle, avec la santé et l’environnement. Il y a tant à faire ! 

Quel est votre rêve le plus cher au regard de la situation politique et social du pays ?

Un rêve ne vaut que s’il se réalise. Alors mon voeu le plus cher aujourd’hui, est d’avoir un chef d’état qui soit réellement le Président de tous les français, et non pas un président d’un parti, qui serait imposé aux autres. Un vote POUR et surtout pas CONTRE. Une meilleure répartition des richesses, qui fera monter le niveau de vie constamment et régulièrement, surtout pas de nivèlement par le bas. Une France rassemblée, autour d’une même idée : la grandeur, l’équité et le travail. « Oeuvrer pour un idéal, pour le bien commun et pour l’intérêt général, cela demande de l’abnégation et du courage. Et je n’en manque pas ». 

Jacline Mouraud.